
Un marché animé en Côte d’Ivoire. Photo : Rakiya Muhammad
Chaque semaine une route centenaire qui relie le Nigeria à la Côte d’Ivoire est empruntée par des milliers de personnes en quête d’une meilleure vie économique. Les femmes yorubas de la ville nigériane d’Ejigbo ont transformé cette route en un lieu d’échanges culturels, de transmission du patrimoine et de réseautage.
Par Rakiya Muhammad
Des femmes yoruba du Nigeria traversent quatre pays pour faire du commerce sur les marchés de Côte d’Ivoire, chaque semaine.
Ce périple de 1 100 km commence dans la ville d’Ejigbo, dans le sud-est du Nigeria, et les mène à travers le Bénin, le Togo, le Ghana, pour finalement arriver à Abidjan, la capitale ivoirienne.
« Je n’aurais jamais imaginé aller en Côte d’Ivoire jusqu’à ce qu’un de mes frères vienne m’y chercher », raconte Rebecca Adebayo, une femme yoruba qui a quitté Ejigbo pour Abidjan il y a cinquante ans.
Ejigbo est une localité de la région yoruba, dans le sud-ouest du Nigeria. Les Yorubas constituent l’un des plus grands groupes ethniques du Nigeria. Leur langue est parlée par au moins 30 millions de personnes. L’histoire de cette femme yoruba à la recherche d’un avenir meilleur et d’un moyen de subsistance à Abidjan remonte à plusieurs décennies, lorsque les opportunités limitées au Nigeria ont poussé les femmes à se lancer dans le commerce dans ce pays francophone.
Ces dernières années, l’exode s’est poursuivi, tissant des récits de migration dans les rues tranquilles d’Ejigbo. Bien qu’il n’existe pas de statistiques précises, une conversation informelle avec de nombreux habitants d’Ejigbo montre que la plupart des familles d’Ejigbo ont plusieurs membres en Côte d’Ivoire.
Les chiffres du site officiel de l’État d’Osun, dont fait partie Ejigbo, indiquent que sur environ 1,2 million de Nigérians résidant en Côte d’Ivoire depuis les années 1900 jusqu’à aujourd’hui, les habitants d’Ejigbo représentent plus de 50 %.
Les compagnies d’autocars se sont développées au fil des ans pour répondre à la demande de transport entre le Nigeria et la Côte d’Ivoire.
Opeyemi Aderanti, secrétaire de LABA International Transport, qui travaille dans l’entreprise depuis plus de six ans, a confirmé que le nombre de femmes voyageant est supérieur à celui des hommes.
« De nombreux voyageurs se concentrent sur les affaires, et comme les femmes constituent la majorité dans le commerce, cela peut expliquer pourquoi la population de femmes migrantes dépasse celle des hommes. Cependant, nous servons aussi bien les clients masculins que féminins. »
« Lorsque je me suis approchée pour la première fois de la frontière de Seme à Lagos, mon cœur battait à tout rompre. Je n’avais jamais franchi une frontière internationale auparavant et le chaos autour de moi était impressionnant », se souvient Sewa Abidoye de son premier voyage.
« En entrant en République du Bénin, j’ai ressenti un soulagement mêlé d’appréhension. La langue avait changé et l’environnement me semblait plus étranger. J’ai réalisé que je commençais un voyage dans un territoire physique et émotionnel inconnu. »
Sewa a été fascinée par les paysages verdoyants et l’animation des marchés au Togo. Le passage de la frontière a été plus rapide au Ghana, où l’air était rempli de musique et d’énergie.
« Quand je suis enfin arrivée à la frontière ivoirienne à Noé, je me sentais à la fois épuisée et excitée. J’ai regardé autour de moi et j’ai vu des gens s’affairer avec détermination, et j’ai ressenti un sentiment d’espoir. »
En général, le trajet dure trois jours en autocar. Les petits véhicules peuvent le faire en deux jours.
Lorsque Rebecca Adebayo s’est lancée dans ce voyage il y a cinquante ans, c’était par la mer.
« Il n’y avait pas de bus luxueux à Ejigbo pour aller en Côte d’Ivoire », a déclaré Mme Adebayo. « Quand j’ai appris que nous allions voyager en bateau, j’avais peur et j’étais sceptique à l’idée d’embarquer, mais j’ai finalement trouvé le courage de monter à bord. »
Selon un aperçu des données régionales pour l’Afrique de l’Ouest du Migration Data Portal, la Côte d’Ivoire constitue l’un des dix principaux couloirs de migration en Afrique de l’Ouest, premier pays de destination des migrants dans la région.
Cliquez ci-dessous pour écouter l’épisode du podcast Borderless Women (Femmes sans frontières), dans lequel des commerçantes, des rapatriées et des reines du marché d’Ejigbo partagent leurs rires, leurs difficultés et l’héritage qui se cache derrière la migration cachée de l’Afrique de l’Ouest.