ETHIOPIE: Les mises en garde ne suffisent pas à dissuader les futurs migrants

Ibsa Mohamed, étudiant de la région d’Oromia, a payé un passeur pour aller au Yémen, mais il est resté bloqué à Djibouti/Photo: Kristy Siegfried/IRIN
Les Ethiopiens se déplacent beaucoup. Non seulement les populations rurales viennent s’installer dans les villes, mais le nombre d’Ethiopiens qui quittent le pays a considérablement augmenté au cours des dernières années.

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Beaucoup tentent d’atteindre l’Arabie Saoudite en traversant le Yémen ; des milliers d’autres se dirigent vers l’Afrique du Sud, Israël et l’Europe, traversent déserts et océans et mettent leur vie à la merci des passeurs qui pour la plupart ne se soucient guère de leur bien-être.

La plus grande partie des migrations en provenance de l’Ethiopie n’est pas documentée et il est donc difficile de trouver des chiffres exacts. Mais l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué en 2010 que, rien qu’au Yémen, près de 35 000 nouveaux arrivants étaient des Ethiopiens, ce qui représentait les deux tiers de tous les nouveaux arrivants sur l’année. Entre janvier et octobre 2011, près de 52 000 Ethiopiens ont réussi à passer au Yémen.

Les réfugiés somaliens suivent des routes semblables et utilisent souvent les mêmes passeurs, mais les motifs qui les poussent à entreprendre ces dangereux voyages sont plus évidents : La Somalie subit un conflit armé depuis deux décennies et se trouve actuellement en pleine famine.

L’Ethiopie, elle, n’est pas engagée dans une guerre civile, et quoique certaines régions aient été durement frappées par la sécheresse, le pays est l’un des plus grands bénéficiaires de l’aide au développement du monde. Cependant, il compte aussi l’une des plus importantes populations de l’Afrique – l’estimation est de 75 millions d’habitants – et souffre d’un taux de chômage croissant parmi les jeunes et d’un manque de perspectives d’emploi.

« La raison principale qui pousse les gens à émigrer d’Ethiopie au Yémen est la nécessité. C’est pour gagner de l’argent qu’ils partent là-bas [en Arabie Saoudite], » a dit Daud Elmi, 28 ans, qui a quitté son village de Lafaisa à l’est de l’Ethiopie en 2006, pour aller chercher du travail en Arabie.

En réalité, il a passé une année dans un camp de réfugiés à Djibouti et encore trois mois dans un camp au Yémen ; il a réussi à éviter de se faire arrêter en affirmant être un réfugié somalien. Comme il n’a pas réussi à gagner assez d’argent pour pouvoir passer en Arabie Saoudite, il est finalement revenu chez lui.

M. Elmi conseille aux gens de son village qui ont l’intention d’émigrer au Yémen ou en Arabie de ne pas prendre le risque, mais un certain nombre continuent à le faire. « Tout le monde y va pour améliorer sa vie, » a t-il dit à IRIN. « Ici, ce qu’on gagne ne permet que de vivre au jour le jour ; on ne peut pas épargner. Si tu vas là-bas et que envoies de l’argent chez toi, tu peux commencer à construire une maison, ouvrir un commerce ou aider ta famille. »

Tagel Solomon, coordonnateur des programmes [visant à prévenir la ] migration irrégulière auprès de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), confirme que les Ethiopiens émigrent en général pour des raisons d’opportunité économique.

La plupart sont de jeunes hommes comme Kadar Mowlid Mahamoud, 23 ans, qui enseigne l’anglais et l’informatique. Il est parti de Lafaisa en 2008, « à la recherche d’une vie meilleure » en Europe et il a eu la chance de réussir à traverser le Somaliland, un Etat auto-proclamé, riverain du Golfe d’Aden, et le Yémen. Il s’est trouvé à court d’eau près de la frontière d’Arabie Saoudite et a été obligé de boire sa propre urine, pour finalement se faire voler sous la menace d’un couteau, juste après avoir traversé la frontière.

Il a fini par trouver du travail occasionnel sur des chantiers de construction à Riyad, la capitale de l’Arabie Saoudite, et durant les 18 mois qu’il y a passés, il est parvenu à économiser un peu d’argent. Mais après avoir été sévèrement blessé dans un accident de voiture, ses économies ont été englouties par la facture de l’hôpital et il a décidé qu’il était temps de rentrer chez lui. Il s’est rendu aux autorités qui l’ont déporté en octobre 2010.

Les facteurs politiques

La plupart des Ethiopiens qui quittent le pays sont considérés comme migrants économiques et n’ont droit ni à la protection ni à l’assistance accordées aux réfugiés, mais une étude, publiée en 2011 par le Conseil Danois pour les réfugiés (DRC), indique qu’ « un pourcentage considérable [des migrants]relèvent de la zone d’ombre où les aspects économiques de la migration peuvent provenir d’une oppression politique et économique. »

Les entretiens avec les nouveaux arrivants révèlent que certains groupes ethniques sont victimes de harcèlement et de discrimination de la part des fonctionnaires éthiopiens parce qu’ils sont perçus comme soutenant les groupes rebelles armés, tels que le Front de libération Oromo (OLF), le Front national de libération de l’Ogaden (ONLF) et même des partis d’opposition établis de longue date comme le Congrès du peuple Oromo (OPC).

Il y a quelques mois, Human Rights Watch (HRW) a révélé que les autorités organisaient des arrestations de masse parmi les Ethiopiens de l’ethnie Oromo, qu’ils accusent d’être membres de l’OLF, un mouvement frappé d’interdiction. Selon le rapport du Conseil danois pour les réfugiés, 47 pour cent des nouveaux arrivants éthiopiens enregistrés au Yémen en 2010 appartenaient à l’ethnie Oromo.

« Pas besoin d’être un sympathisant de l’OLF, n’importe quelle forme de communication avec quelqu’un qui pourrait avoir un lien avec l’OLF est suffisant pour vous faire arrêter, et c’est ça qui est très inquiétant, » a dit à IRIN Laetitia Bader, chercheuse à HRW.

Les nouveaux arrivants interrogés au Yémen ont également confirmé les conclusions d’un rapport de 2010 de HRW : les groupes ethniques comme les Oromo ont tendance à avoir plus difficilement accès à l’aide internationale, que ce soit les programmes soutenus par les bailleurs de fonds, l’emploi ou les perspectives éducatives.

« Les Oromo sont toujours associés avec le Front, » a dit une jeune femme de 24 ans, citée dans le rapport. « En tant qu’Oromo, nous ne pouvons obtenir ni travail ni éducation. Ils [le gouvernement] ne nous laissent pas nous développer. »

Les causes profondes

Selon M. Solomon de l’OIM, les activités des passeurs et de leurs agents ont accéléré la migration au départ de l’Ethiopie. « Les passeurs se rendent dans les villages et disent aux gens qu’ils vont trouver du travail [au Moyen-Orient]et que c’est relativement facile, » a t-il dit à IRIN. « Il y a eu un certain nombre d’arrestations dans le cadre d’un effort gouvernemental pour prendre des mesures contre ce réseau, mais il y a beaucoup d’argent en jeu. »

Les histoires de réussite ou d’échec de gens du cru peuvent avoir encore plus d’influence que les passeurs. A Lafaisa, la rumeur veut qu’un homme ait réussi à arriver jusqu’à Malte d’où il envoie de l’argent à sa famille, mais on entend plus souvent des histoires comme celle d’Abdirizak Mohamed Mohamoud, qui, parti pour l’Italie, a passé sept mois dans diverses prisons libyennes, puis encore 18 mois à essayer de gagner de quoi tout simplement pouvoir rentrer chez lui.

Les tentatives d’émigration ratées peuvent être un gouffre financier pour une famille qui a mis en commun ses ressources, voire vendu un bien pour collecter suffisamment d’argent liquide pour payer le passeur. M. Mohamoud a déclaré qu’il ne voulait pas remettre ça et qu’ils déconseillait aux autres de faire la même erreur. « Je suis un exemple pour mon village, » a t-il dit à IRIN. « Si j’avais réussi, tous les autres seraient partis. »

Toutefois, les mises en garde ne font pas le poids face aux causes profondes de l’exode éthiopien, et souvent, même une expérience personnelle négative ne dissuade pas les gens d’essayer à nouveau.

L’OIM mène un programme dans la zone Oromia de la région d’Amhara en Ethiopie : l’objectif est de réduire l’émigration, non seulement en insistant sur les risques, mais aussi en soutenant des projets générateurs de revenus et en fournissant une formation pour les jeunes.

Mais il n’existe aucun programme de ce genre à Lafaisa et M. Mahamoud a toujours l’intention d’aller en Europe. « J’attends que les manifestations [au Yémen] soient terminées, et je repartirai, » a t-il dit à IRIN, en ajoutant que c’est ce qu’il conseille à ses élèves de faire.

« Je n’ai aucun avenir en Ethiopie, » a t’il dit. « J’ai vu l’Europe à la télévision, et c’est mieux là-bas. »

IRIN News

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Theme (s): Migration, Réfugiés et déplacés,

[Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies]